Responsabilité pénale en cas d’accident sur un chantier

Alexandre Mathieu

Au cours des 30 dernières années, le législateur n’a cessé de renforcer le dispositif législatif visant à prévenir les risques auxquels sont exposés les travailleurs du bâtiment et des travaux publics et ce, dans l’objectif de réduire les accidents du travail.

En effet, le secteur du BTP est le plus sinistré en matière d’accidents avec 56 accidents du travail enregistrés pour 1.000 salariés alors que la moyenne dans les autres secteurs d’activité est de 34 pour 1.000.

Selon l’Assurance Maladie, en 2018, un salarié sur dix-huit était victime d’un accident du travail par an ce qui se traduit par un accident toutes les 2 minutes travaillées.

Ainsi, au cours de sa carrière, un travailleur du BTP sera victime de 2,5 accidents du travail et cumulera 220 jours d’arrêt de travail. Il est donc quasiment inévitable qu’au cours de sa carrière un chef d’entreprise en matière de BTP ne soit pas confronté à l’accident de l’un de ses employés lors de la réalisation d’un chantier.

Or, lorsqu’un accident se produit, non seulement le chantier se trouve immobilisé, ce qui engendre du retard et des coûts supplémentaires pour l’entreprise, mais surtout le chef d’entreprise doit gérer l’intervention des différents acteurs présents pour éclaircir les circonstances de l’accident et établir les responsabilités.

Ainsi, les conséquences d’un accident du travail peuvent s’avérer désastreuses tant sur le plan de la responsabilité pénale que sur l’activité même de la société, sans omettre bien entendu les drames humains pour les victimes et leurs familles.

I . La prévention du risque pénal au moyen de la délégation de pouvoir

Le code pénal tient pour responsable lors d’un accident du BTP le chef d’entreprise, or, en pratique celui-ci n’est que très rarement sur le chantier du fait des multiples tâches de gestion incombant à sa fonction. Il n’est donc pas toujours en mesure de prendre, en pratique, toutes les mesures de nature à assurer la sécurité des travailleurs.

C’est la raison pour laquelle, il désigne parmi ses employés un ou plusieurs chefs de chantier qui pour leur part sont sur le terrain et veillent au respect de la législation en matière d’hygiène et de sécurité.

Toutefois, un simple contrat de travail ne suffit pas à exonérer le chef d’entreprise de sa responsabilité pénale et celui-ci reste responsable des fautes commises par ses chefs de chantier, même si en pratique il n’a commis aucun manquement.

Afin de pallier cette difficulté, la loi lui offre la possibilité de déléguer ses pouvoirs. Toutefois, pour que celle-ci soit effective, la loi prévoit un certain nombre de critères liés tant au délégant qu’au délégataire.

A. Les conditions liées au délégant c’est à dire au chef d’entreprise

En tout premier lieu, pour qu’une délégation de pouvoir soit valable, celle-ci doit être certaine et précise pour reprendre les termes de la jurisprudence en la matière.

Bien qu’une délégation de pouvoir puisse être orale, il est indispensable de la formaliser par écrit afin d’éviter toute difficulté quant à son existence mais surtout d’être précis quant aux pouvoirs qui sont délégués.

Le caractère précis s’entend notamment par le fait que l’objet de la délégation de pouvoir est limité de sorte que le chef d’entreprise ne peut transférer à son employé l’intégralité de ses pouvoirs.

Il est régulièrement jugé en matière d’accident du BTP que la délégation de pouvoir produite par le chef d’entreprise est trop générale et qu’elle ne couvre donc pas sa responsabilité pénale.

Elle doit, par ailleurs, être effective, faire l’objet d’un minimum de durée et de stabilité afin que le délégataire puisse appréhender la mission confiée et en assurer le bon accomplissement.

B. Les conditions liées au délégataire c’est à dire à l’employé

Le délégataire d’une délégation de pouvoir ne peut qu’être un employé de l’entreprise et en aucun cas un tiers. Cela peut paraître basique mais lorsqu’il y a une multitude d’entreprises qui interviennent sur un chantier, il arrive que des chefs d’entreprises tentent de s’exonérer de leur responsabilité pénale en invoquant la délégation de pouvoir faite par une autre entreprise à l’un de ses salariés.

De plus, pour que la délégation de pouvoir soit valable, la jurisprudence a dégagé le concept de « compétence, autorité, moyens ».

En effet, le délégataire doit être qualifié pour recevoir la délégation de pouvoir c’est-à-dire qu’il doit disposer des compétences nécessaires au bon accomplissement de sa mission. Cela passe par l’expérience, les connaissances techniques, le suivi de formations…

Il doit bien évidemment disposer de l’autorité puisqu’il est là pour s’assurer du respect des mesures d’hygiène et de sécurité qu’il a mises en œuvre. D’où les critères d’indépendance et de pouvoir de commandement que la jurisprudence a peu à peu élaborés au fil de l’examen des délégations de pouvoirs.

Enfin, le délégataire doit indispensablement disposer des moyens matériels et financiers requis pour mettre en œuvre les mesures nécessaires au bon respect des obligations en matière d’hygiène et de sécurité sur le chantier.

II . La défense des entreprises du BTP et de leurs employés impliqués dans une procédure pénale

L’assistance des entreprises du BTP, des chefs d’entreprise ainsi que de leurs salariés en phase d’enquête ainsi qu’à l’occasion des procès en responsabilité pénale est essentielle.

Elle est d’autant plus importante qu’un accident du travail en matière de BTP a souvent des conséquences graves avec 19% des accidents donnant lieu à des décès et 16% à des incapacités permanentes.

Ainsi, face à l’émoi légitime suscité par ces affaires, la justice met tout en œuvre pour identifier les responsables et l’entreprise ainsi que son dirigeant sont les premiers exposés aux risques de poursuites.

Or, ces derniers, rompus aux affaires ignorent tout du déroulement d’une enquête, de son caractère coercitif, de l’épreuve qu’est une garde-à-vue et de l’importance d’être clair et compréhensible lors d’une audition.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel, dès la survenance d’un accident sur un chantier, d’être accompagné par un avocat qui, outre les explications quant au déroulement de l’enquête, préparera l’entreprise, le chef d’entreprise ou ses préposés à apporter aux enquêteurs des éléments de réponse pertinents.

A. La responsabilité pénale de l’entreprise de BTP

La responsabilité pénale de l’entreprise peut être engagée sur le fondement de l’article 121-2 du code pénal qui dispose que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Le premier critère réside dans la commission d’une infraction « pour le compte » de la personne morale ce qui signifie que l’organe ou le représentant ait agi à l’occasion d’une action qui est profitable à la société ou qui a été réalisée dans son propre intérêt.

Le second critère réside quant à lui dans la détermination de « l’organe ou du représentant » ayant commis l’infraction.

Or c’est ce second critère qui prête le plus à débat puisque dans les faits l’infraction doit être caractérisée, en tous ses éléments, à l’égard de l’organe ou du représentant.

Longtemps, la question s’est posée de l’identification de cet organe ou représentant car dans certains cas de figure celui-ci est particulièrement difficile à identifier. Désormais la jurisprudence semble claire à ce sujet en exigeant qu’il soit systématiquement identifié.

Néanmoins, la responsabilité pénale de la personne morale demeure un débat très technique aux enjeux majeurs et chaque situation est différente.

Quoi qu’il en soit, la mise en jeu de la responsabilité pénale de l’entreprise n’exclut pas celle des personnes physiques.

B. La responsabilité pénale des personnes physiques

En matière de BTP, la plupart des accidents relèvent d’infractions non intentionnelles qui seront abordées dans la présente partie, l’infraction intentionnelle suivant quant à elle le régime classique de la responsabilité pénale.

L’article 121-3 du code pénal envisage deux hypothèses en matière d’infraction non intentionnelle résidant dans le lien de causalité.

Soit celui-ci est direct, soit il est indirect et alors les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale différent.

En cas de causalité directe, c’est-à-dire lorsque la faute a un lien direct avec le dommage, seule la démonstration d’une faute simple suffit.

Elle est définie comme une « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

À titre d’exemple, le Ministère Public qualifie la faute simple de la façon suivante « d’avoir à …, le …, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription publique, dans le cadre d’une relation de travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l’espèce en évaluant de façon incorrecte les risques présents sur le chantier et en adaptant incorrectement les équipement de sécurité, involontairement causé une ITT inférieur ou égale à trois mois sur la personne de …, en l’espèce … jours... ».

En matière de causalité indirecte, soit lorsque la faute ne présente pas un lien direct avec le dommage, le code pénal prévoit que « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

Dans cette hypothèse les poursuites se font, à titre d’illustration, sous la qualification suivante « Avoir à …, le …, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription publique,

Causé des blessures involontaires avec incapacité totale de travail supérieure à 3 mois sur la personne de M… dans le cadre d’une relation de travail, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l’espèce,

  • en employant des travailleurs sur un chantier de travaux publics sans mesure de protection contre les chutes de personnes telles que prévues par l’article R.4534-6 du code du travail ;
  • en réalisant des travaux sans Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé adapté conformément à l’article 4532-64 du code du travail, le PPSPS initial n’ayant pas prévu le risque de chute susvisé ;
  • en employant des travailleurs temporaires sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité conformément à l’article L.1251-43 du code du travail…».
Avocat au barreau de Aix-en-Provence

Ainsi, face à la complexité technique du régime de responsabilité en matière d’infractions non intentionnelles, il est essentiel que la société, le chef d’entreprise ainsi que toute personne impliquée dans un accident soient conseillés dès la survenance de l’événement.

Le Cabinet MATHIEU-DABOT et Associés met au service des sociétés qu’il accompagne ses compétences techniques et juridiques afin de défendre au mieux leurs intérêts.

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